Mon amour (5)
Toi (2)
Tu m'as dit que tu m'avais repérée un matin en amphi alors que j'arrivais en retard. Que tu m'avais trouvée jolie et que t'avais regretté de ne pas être célibataire. Tu me connaissais toi aussi de vue quand on se croisait par la suite en salle informatique.
Tu m'as dit que tu m'avais trouvée très sympathique quand on a fait connaissance. Que je te paraissais intéressante et que t'espérais pouvoir me connaître davantage. T'as sauté sur l'occasion quand je t'ai dit qu'on gardait le contact par mail.
Tu m'as dit que du coup, ma proposition de colocation était comme un cadeau tombé du ciel. Une opportunité inouïe à côté de laquelle tu ne voulais absolument pas passer.
Tout ça, je ne l'ai su qu'il y a quelques semaines, quand on était déjà ensemble. Quand je t'ai demandé depuis combien de temps, et que tu m'as répondu en souriant "pffffiou... longtemps".
Rien de ce qui s'est passé avant qu'on ne soit ensemble n'a été sans conséquences sur toi. Mais pas une seule fois, tu ne me l'as fait ressentir. Pas une seule fois, tu ne t'es montré amer. Pas une seule fois, tu ne m'as laissée seule, alors que je sollicitais ton amitié quand tu voulais m'offrir plus.
Mon amour, à travers ce post j'aimerais rendre hommage à ta générosité et à ta dignité, à toutes les fois où tu as privilégié mon bonheur aux dépens du tien.
T'aimais beaucoup discuter. On a très vite eu de longues discussions où tu me racontais ton enfance, t'avais tellement d'anecdotes intéressantes, tu me faisais rêver, j'adorais t'écouter, j'adorais ta façon de raconter, c'était vivant, c'était frais, je pouvais passer des heures à t'écouter sans qu'à un seul moment je ne m'ennuie.
Je me souviens qu'un soir, j'avais réservé la clé du labo photo car je n'avais pas fait de tirages depuis longtemps. J'étais seule à la maison, j'étais dans le salon, je comptais y aller en début de soirée, puis t'es rentré à ce moment-là. On a diné ensemble, je crois même que c'est toi qui as fait à manger, et on a discuté, discuté, discuté. Je ne voyais pas l'heure tourner, je savais qu'elle tournait, mais je ne voulais pas savoir, je voulais rester avec toi, t'étais tellement intéressant. Du coup, il était près de minuit quand je suis allée au labo, et je suis rentrée vers 3h.
On discutait à nouveau ensemble
ce soir là avant qu'
il n'arrive. C'était un vendredi soir, j'étais à nouveau seule à la maison, et je les avais invités à passer. Ils ne sont passés que vers 1h du matin. Entre temps, t'es rentré parce que tu devais partir le lendemain, et tu devais préparer tes affaires. On s'était installé sur le divan, je serrais un coussin contre moi et je t'écoutais parler. Je savais qu'ils allaient passer, d'un coté je les attendais avec impatience parce qu'
il était parmi eux, d'un autre j'espérais qu'ils ne passeraient pas car j'étais trop bien avec toi. Déjà à l'époque. On a discuté jusqu'à ce qu'ils arrivent, puis t'es monté préparer tes affaires. J'espérais que tu ne m'en voulais pas d'avoir interrompu notre discussion. Le lendemain, tu m'as laissé un petit mot dans le salon pour me taquiner: je t'avais dit que je me lèverais tôt, mais je ne me suis pas levée avant que tu partes à six heures. Je t'ai envoyé un texto pour te dire que je t'avais entendu te préparer et partir, la preuve que j'étais réveillée. J'en ai profité pour te dire que j'étais désolée qu'on ait du interrompre notre discussion la veille; tu m'as répondu que ce n'était pas grave du tout et que ça t'avait fait plaisir qu'on puisse parler.
Je me souviens comme tu me faisais rire. Tu ne pouvais pas rester sans rien dans les mains. Particulièrement quand on discutait, tu avais forcément quelquechose dans la main. Tu me racontais tes anecdotes, et en même temps t'étais concentré sur l'objet que t'avais dans les mains. L'objet était souvent en longueur et tu t'amusais à l'étendre, à le déplier jusqu'à ce qu'il fasse une ligne parfaite; tu ne t'en rendais pas compte, tu faisais ça machinalement, et tu continuais à parler normalement. Plusieurs fois je n'ai pas pu me retenir de rire. Si bien qu'au bout de plusieurs fois, dès que tu me voyais au bord du fou rire, tu regardais ce que t'étais en train de faire avec tes mains, et on se mettait à rire. Je te trouvais trop mignon, mon amour.
Souvent, je travaillais dans ma chambre plutôt que dans le salon.
Plus tard, tu m'avoueras qu'à chaque fois que je montais, tu regrettais de trop parler. Tu te disais que c'était à cause de toi si je ne restais pas en bas, que tu parlais trop, que tu me faisais fuir. Je te répondrai alors qu'effectivement je montais parce que j'étais moins distraite en haut, mais pas parce que tu me faisais fuir, mais parce que quand tu étais là, j'appréciais tellement ta présence que je ne pouvais pas m'empêcher de te parler.
Un soir, au début de la colocation, tu travaillais sur la table du salon, je travaillais sur le divan. Déjà à l'époque, on se distrayait rapidement, et je ne sais plus comment, le sujet de ta copine est venu sur le tapis. C'est à ce moment là que j'ai appris avec surprise que, de ton point de vue, ça n'allait plus entre vous, que plus tu la connaissais et moins tu ne te voyais rester à long terme avec elle.
Ce n'était pas une très longue discussion (relativement à nos discussions habituelles) parce que t'y as coupé court après m'avoir donné une explication ponctuée d'exemples, et que je ne voulais pas t'embarrasser.
Par la suite, j'ai continué de faire comme si c'était une crise passagère, et qu'au fond ça allait encore bien entre vous. T'as également continué à faire comme ça, à parler d'elle comme si tout allait bien, et à ne pas évoquer vos problèmes de couple.
Puis c'est à nouveau revenu.
T'as poussé un petit soupir significatif à son évocation, et j'ai compris à ce moment là que tu voulais en parler, mais que par pudeur tu n'osais pas. Tu m'expliqueras plus tard qu'effectivement c'était un peu par pudeur, mais aussi parce que tu ne voulais pas me déranger avec ça. Alors je suis allée te chercher, et c'est à partir de là qu'on a parlé de choses plus personnelles.
En t'incitant à me parler de ce que t'avais sur le coeur, j'espérais t'apporter quelquechose, te soulager, t'aider. J'avais peur que tu me trouves trop curieuse, ou que tu sois gêné à chaque fois que je te demandais si ça allait mieux avec elle.
Mais plus on parlait, et plus je me rendais compte que t'appréciais ça, que t'en avais besoin, que c'était confus dans ta tête et que je pouvais t'apporter un avis objectif sur la situation.
Nos discussions sont devenues vraiment très personnelles et privées après ma rupture. C'était une période au cours de laquelle mes sentiments s'entremêlaient car j'avais trop peu de réponses à trop de questions. Je te sollicitais énormément, et en me parlant, t'as pu constater que ta situation était la même que la mienne. Que tu restais avec elle par habitude, que tu culpabilisais de vouloir rompre et de la laisser seule, que tu ne te voyais pas mettre fin à une si longue relation où chacun avait pris ses marques, mais qu'au fond de toi tu savais que vous finiriez par vous rendre malheureux mais que tu ne trouvais pas le courage de franchir le cap. J'ai profité de mon expérience récente pour t'aider à mettre les choses au point. Pour t'expliquer que ce qui était traitre, c'étaient les souvenirs, car ils te rappelaient que vous pouviez passer de bons moments, et ils te laissaient dans l'illusion que ça pouvait continuer. T'as réalisé que j'avais mis le doigt là où il fallait. T'as réalisé énormément de choses sur ton couple au cours de ces discussions. Tu m'as dit qu'au fond tu tenais encore à elle, que tu voulais encore être là pour elle, l'aider quand elle avait besoin de toi. On est passé par les mêmes étapes mon amour. C'était de l'amitié. Tu éprouvais de l'amitié pour elle. Je te l'ai dit, tu n'as pas parlé pendant un moment, puis t'as hoché la tête, tu m'as dit que j'avais raison, que tu n'avais jamais vu ça comme ça, mais que toute l'affection que tu avais pour elle, tu l'avais en tant qu'ami.
On discutait beaucoup en bas quand il n'y avait personne, et on se taisait quand ils arrivaient. Parfois je nous enfermais dans ta chambre ou je t'invitais dans la mienne pour que l'on puisse discuter. T'étais à l'aise avec moi et ça me faisait plaisir. Je me souviens comme au début tu parlais à demi-mot, tu faisais comprendre que ça n'allait plus, tu soupirais, tu coupais court aux conversations sur le sujet qui dépassaient trois phrases. Tu t'étais complètement ouvert, tu me disais des choses directement, tu savais que je ne te jugerais pas, tu savais que je te comprendrais. Merci de m'avoir fait confiance, mon amour.
Au début de la colocation, quand tu m'as dit que ça n'allait plus entre ta copine et toi, je t'ai dit que moi non plus ça n'allait plus entre mon copain et moi. On se posait les mêmes questions à ce moment là, on vivait les mêmes histoires, d'ailleurs on a toujours vécu les mêmes histoires. Je t'ai très peu parlé de lui parce que dans ma tête c'était clair, j'allais rompre.
Je t'ai plutôt parlé de
lui.
Ce n'étaient que des sous-entendus au début, je n'arrivais pas à en parler. J'en avais juste parlé à elle, notre troisième coloc fille, mais je commençais à vouloir en parler autour de moi parce que je savais que ça n'en resterait pas là.
J'étais très perturbée par la situation, je ne savais plus quoi faire de mes sentiments, je me posais beaucoup de questions et j'en avais marre de me prendre la tête, alors je buvais beaucoup pour oublier, je buvais mais j'en avais honte, tu ne me le montrais jamais, tu restais gentil avec moi, normal, mais je ne pouvais pas m'empêcher de me dire que je te donnais une très mauvaise image de moi, alors je te disais que ce n'était pas dans mes habitudes, que j'avais du mal à faire face à certaines choses et qu'il me fallait un échapatoire. Tu m'as dit, très calmement comme à ton habitude, avec un petit sourire pour te montrer rassurant, que tu ne voyais pas ce qu'il y avait de grave dans le fait que je donne une mauvaise image de moi. Je t'ai dit que je ne voulais pas que t'aies cette image de moi. Tu m'as dit que je ne te faisais pas mauvaise impression, mais qu'au lieu d'oublier je devais plutôt trouver des solutions. Je t'ai dit que j'essayais mais que je n'y arrivais pas.
Tu me diras plus tard que tu n'aimais pas me voir me détruire. Tu n'aimais pas me voir boire pour oublier. Je te donnais donc vraiment une image de moi qui ne te plaisait pas. Mais c'était pour moi. Tu te fichais de la façon dont tu me voyais mon amour, tu t'inquiétais juste pour moi.
Je t'ai dit ce soir là qu'il y avait des gens qui me faisaient du mal, je n'ai pas pu en dire plus par pudeur, par manque d'habitude, je t'ai juste dit que j'hésitais à aller en cours le lendemain parce que j'allais voir ces gens là et je ne pouvais plus le supporter.
J'ai finalement été en cours. Mais j'ai changé de place au début du cours pour ne pas être juste derrière eux, pour ne pas les voir. Ca m'a donné du courage de me dire que je pouvais ne pas subir. C'est ce soir là que j'ai décidé d'en parler.
C'est toi le premier coloc homme à qui j'ai parlé. Je parlais à elle, notre coloc tu sais laquelle, quand elle m'a dit que je devrais te demander conseil à toi. Je comptais effectivement le faire. J'avais peur de te déranger, je ne t'avais jamais vraiment parlé de choses très personnelles, je ne savais pas comment tu le prendrais.
Il y avait beaucoup de colocs en bas, dans la cuisine et dans le salon. On s'est retrouvés un bref moment seuls toi et moi dans le salon, je t'ai demandé si t'aurais un peu de temps à me consacrer quand on serait seuls. On a eu du mal à être seuls. Il y avait toujours quelqu'un. J'avais mal au ventre, je stressais, je savais que j'allais tourner à droite très prochainement, je savais que si je trouvais le courage ce serait le lendemain.
On a fini par être seuls. Je me suis installée en face de toi dans le salon, et il y a eu un gros silence. Je ne savais pas comment aborder le sujet. C'était difficile d'aller chercher au fond de soi des sentiments refoulés pendant un an et demie et de les exposer. Tu ne m'as pas lachée du regard, tu me souriais, tu voulais te montrer rassurant, tu voulais me faire comprendre que t'étais disposé à m'écouter mais que tu me laissais le temps qu'il me fallait pour me lancer, que tu avais le temps, que je pouvais prendre le mien, que je ne devais pas m'inquiéter, que tu étais là, que tu resterais là. Tu ne t'es jamais impatienté, t'es resté calme, présent, rassurant, et je me suis lancée.
Je t'ai dit que j'avais quelqu'un en vue, et que tu pouvais peut-être deviner de qui il s'agissait. Tu m'as fait plaisir à ce moment là, parce que tu m'as dit que tu m'avais vue changer de place en amphi, et que du coup tu te doutais de qui il s'agissait. Tu m'as fait plaisir parce que tu donnais toujours l'impression d'être à fond sur ton pc en cours, alors qu'en fait t'avais fait attention à moi, t'avais fait attention à ce que je t'avais dit la veille, t'avais fait le lien entre les deux.
Je t'ai raconté nos délires, l'effet qu'il me faisait, la situation dans laquelle j'étais. Je t'ai raconté
l'épisode de la photo. Elles m'avaient dit que c'était bon signe, mais c'étaient des filles. Je voulais un avis de garçon, je savais que tu me parlerais franchement, je pensais que tu mettrais fin à mes illusions, que grâce à toi j'arrêterais d'espérer sans raison. Il y a eu un silence pendant un moment, tu as réfléchi à ce que je t'ai raconté, puis tu m'as dit "si j'avais fait ça pour une fille, c'est que j'avais une idée en tête".
Je n'arrivais pas à y croire.
Tu venais de me dire que c'était positif. Toi si posé, toi si franc, toi qui évaluais si bien les situations, tu venais de me dire que c'était positif.
Tu m'as dit que j'avais une chance avec lui, alors tu avais déjà des vues sur moi.
Tu m'as écoutée te parler de lui pendant deux heures.
Tu m'as donné des conseils pour que je réussisse à lui dire ce que j'avais sur le coeur.
T'as lu le texto que j'allais lui envoyer pour me dire si c'était bien.
T'as laissé ta porte de chambre ouverte quand j'attendais sa réponse, comme pour me dire que t'étais disponible.
J'ai sauté dans tes bras quand j'ai reçu sa réponse, et t'as répondu à mon étreinte.
Le lendemain,
vous m'avez tous vue stresser à tour de rôle et tu m'as dit avant de partir que c'était marrant comme on réagissait tous de la même manière dans ces situations, et que tu te demandais si tu n'aurais pas été pire. Tu m'as fait comprendre que je n'étais pas pitoyable contrairement à ce que je pensais, tu m'as rassurée, tu m'as redonné du courage, tu ne m'as pas enfoncée davantage.
Tu m'as écrit dans l'après-midi pendant ton cours pour me souhaiter bon courage parce que tu savais que j'allais bientôt le voir.
T'as continué à me donner des conseils jusqu'à ce que je le voie.
Tu m'as dit que dans le pire des cas, vous seriez là pour me ramasser.
Tu m'as dit "bon courage et sois heureuse".
Quand je suis revenue et que je vous ai tous envoyé un texto pour vous dire qu'il ne s'était rien passé mais que j'avais pu lui parler alors ça allait, tu m'as demandé si c'était vrai.
T'as continué à être présent quand j'attendais sa réponse pendant les vacances.
Une fois sur msn, j'avais un pseudo ambigü que tu as pris pour une réponse positive; tu m'as dit que tu étais content pour moi et que tu me souhaitais d'être heureuse.
Tu n'as pas arrêté d'être là pendant ce mois où j'ai attendu vainement sa réponse.
Plus le temps passait et plus ça s'annonçait négatif, t'as arrêté de me donner de l'espoir pour ne pas que je me fasse d'illusions, mais tu ne me l'a jamais dit clairement pour ne pas me blesser.
Ce n'est que quand je te l'ai demandé que tu m'as répondue explicitement; même là tu l'as fait avec tact, pour ne pas me blesser, sans essayer de me dégoûter de lui.
Tu m'as dit qu'il fallait que je fasse le point avec lui pour être sûre.
Je vous ai dit que je voulais l'inviter à prendre un verre à la maison, mais que je ne voulais pas qu'elle, cette garce, s'incruste. Tu m'as dit que tu lui proposerais un rendez-vous pour travailler votre projet et l'occuper. T'étais prêt à sacrifier ton temps libre pour travailler avec elle juste pour moi.
C'est toi qui m'a donné le courage de faire un nouveau pas vers lui.
Pendant un mois, je n'étais pas bien à cause de lui; à chaque fois que je rentrais le week-end, j'avais besoin de ta présence, je t'écrivais des longs longs mails dans lesquels je te parlais beaucoup de lui. Tu me répondais toujours avec des longs mails pleins de bon sens. J'avais besoin de me confier, j'avais besoin de me libérer. Je ne savais pas. Tu me rassurais, alors je me tournais vers toi. Je ne savais pas. J'ai relu mes mails ces derniers jours, je t'ai dit énormément de choses personnelles, sur les sentiments que j'avais pour lui, sur l'état dans lequel j'étais par sa faute, sur toutes ces blessures qu'il avait ouvertes et que personne ne pouvait panser. Je ne savais pas. J'espère que je ne t'ai pas fait de mal. J'espère que tu n'as pas cru que tu n'étais rien pour moi. J'ai été stupide, mon amour... J'ai été aveugle.
Les choses ont changé le 12 mai. Le vendredi 12 mai.
Ca me fait doucement rire
ces coïncidences.
Je le savais, je l'avais vu venir, que cette année le 12 mai tombait un vendredi.
Comme en 2000.
Comme "le plus beau jour de ma vie".
Je l'avais vu venir. Mais je ne pensais pas qu'une nouvelle fois, l'amour tomberait dru ce jour là.
J'y avais réfléchi la veille. J'avais un examen le lendemain, on avait d'ailleurs tous cet examen le lendemain; je révisais dans ma chambre, j'étais toujours mal à cause de lui et je préférais m'isoler. Je ne vous avais jamais expliqué comment s'était passé mon rendez-vous avec lui, comment c'était devenu négatif, je n'ai jamais trouvé le courage de remettre les pieds sur ce terrain, mais après tout ce que vous aviez fait pour moi, je vous devais au moins la fin de l'histoire.
J'ai réfléchi à la manière dont je le ferais. J'irais à notre examen le matin, j'irais au cours suivant, et je prendrais directement le train pour Paris, sans rentrer à la maison. J'avais besoin de quitter Compiègne qui était chargé de souvenirs douloureux. Avant d'aller à l'examen, je laisserais un petit mot dans la cuisine.
C'est ce que j'ai fait.
J'ai écrit "Pas du tout vaut mieux que trop tard. Trop en dire vaut mieux que pas assez".
J'espérais que vous comprendriez.
Les autres colocs ne le savaient pas, ils avaient examen en même temps que moi, ils m'attendaient à la porte quand je suis allée coller mon mot.
Toi tu avais examen l'après-midi, alors t'étais à la maison, t'as trouvé mon mot, et tu m'as écrit pendant mon cours.
Au début, tu n'avais pas compris le sens caché, alors je t'ai expliqué que je partais de Compiègne parce que cette ville me rappelait trop de choses. Vous ne vous en étiez pas rendus compte parce que je ne voulais plus en parler, mais après sa réponse, tout m'insupportait, tout était douloureux, et parfois vous parliez de sujets anodins qui me faisaient terriblement mal car ils me rappelaient des choses qu'on avait vécues lui et moi. Je t'ai alors dit dans ce même texto, que des gens me faisaient du mal sans le savoir.
J'ai été surprise que tu ne me répondes pas aussi vite que d'habitude.
En fait, un mail de toi m'attendait à mon retour. T'y disais que mon texto t'avait déconcerté, que t'avais peur de faire partie des gens qui me faisaient du mal sans s'en rendre compte, que tu ne faisais que supposer car je ne disais pas les choses explicitement, que tu ne pouvais qu'attendre que j'en parle, que je ne devais pas hésiter à te parler franchement, que t'étais ouvert à toute discussion car j'étais quelqu'un que tu appréciais énormément et que tu ne voulais pas me faire de mal.
J'étais à mon tour déconcertée par ton message. Je me refusais à comprendre où tu voulais en venir, je me disais que je m'imaginais sans doute plus de choses qu'il ne fallait, et de toute façon je ne voulais plus réfléchir, je voulais juste souffrir en paix, alors je t'ai dit de ne pas t'inquiéter, que tu ne faisais pas partie de ces personnes et qu'au contraire, t'étais celle qui me rassurait le plus et que si tu n'avais pas été là, ça faisait un bout de temps que je serais repartie à Paris.
Tu m'as remerciée de ma réponse, et tu m'as dit que ça te rassurait... un peu.
Je crois bien que j'ai souri.
Je crois bien que depuis ce jour, j'ai continué à sourire.
Qu'on a commencé une nouvelle relation, un nouveau jeu.
A base de sous-entendus qui n'en avaient même pas l'air.
A base de douceurs, de gentillesses mutuelles.
Je crois qu'on s'entendait trop bien pour que j'y voie autre chose que de l'amitié.
Je crois qu'on s'accordait trop bien pour que je m'imagine pouvoir être avec toi.
Je crois que t'étais trop parfait à mon goût pour pouvoir être plus qu'un ami.
Du coup, je n'ai jamais envisagé qu'on puisse se mettre ensemble.
Je n'ai pas été chercher plus loin que ce qui était en surface; et en surface, il y avait l'amitié que tu m'offrais, la confiance que tu m'accordais, et lui. En surface, il y avait lui; en profondeur, il y avait toi. J'étais trop fatiguée à ce moment là pour chercher.
Ton "un peu" m'a déconcertée. J'étais certaine de comprendre. Ou pas. Je ne voulais pas. Je n'osais pas. Je n'étais de toute façon pas prête. J'étais fatiguée. Je ne cherchais plus. Je voulais juste qu'on me laisse souffrir, me laisser aller. Je n'ai pas cherché à aller plus loin, mais inconsciemment, quelquechose avait bougé en moi. Je n'étais plus triste. J'étais encore déçue, j'étais encore sous le choc, mais je n'étais plus effondrée. Je restais assise parce que j'étais fatiguée, mais si j'avais voulu, j'aurais pu me relever facilement.
Puis t'as rompu avec elle. Une fois, deux fois, trois fois. En une semaine.
Un soir où je suis allée te réconforter après une rupture qui s'est mal déroulée, tu m'as avoué tes sentiments pour moi.
Je ne savais plus quoi faire.
Je savais que j'y pensais souvent.
De nombreuses fois.
Tu m'attirais, je t'adorais, le mélange était explosif, je pensais que c'était passager.
Je me souviens de la soirée du 7 mai. On avait organisé cette soirée parce que Mag était venue à Compiègne; on en a profité pour inviter tous nos amis. Moi j'avais attendu jusqu'à là pour lui demander une réponse, j'espérais qu'il le ferait au cours de la soirée. Mais il ne l'a pas fait. J'étais à côté de toi quand il est parti. On jouait aux cartes avec tes amis, et ils étaient venus regarder, il a été très sympa avec moi, mais il ne s'était rien passé et il était parti. T'as été adorable quand il est parti, t'as toujours été assez discrêt, en particulier devant tes amis, mais tu m'as regardée avec beaucoup de douceur, et tu m'as demandé "ça va?". T'avais un petit sourire qui se voulait compatissant et rassurant, à travers lequel tu m'avais fait comprendre que t'imaginais que non, que tu comprenais, que t'étais là, que tu ne me laisserais pas seule, que tu m'aiderais à me relever si je m'effondrais. Je t'ai dit "non" en souriant, je ne voulais pas dramatiser, j'étais désarmée, vaincue, mais résignée.
J'ai demandé à notre autre coloc homme de me servir à boire, il a bien corsé le mélange et l'alcool a vite fait son effet. Je parlais peu parce que j'étais encore sous le choc, mais je me collais beaucoup à toi, tu me rassurais alors je voulais être près de toi. Je posais ma tête sur ton épaule, puis je la retirais. Je la posais à nouveau après. Et je la retirais. Aucun de vous n'étiez bourré. Ni toi, ni tes amis. Vous assistiez tous à la scène avec la plus grande lucidité. Si j'avais été lucide, je me serais dit que ça pouvait te gêner. Mais je ne l'étais plus, alors je me suis affalée sur ma chaise et j'ai posé ma tête sur tes genoux. J'ai continué à jouer aux cartes comme ça. Je me souviens même avoir gagné. En attendant que vous finissiez vos cartes, j'ai fermé les yeux, j'étais fatiguée physiquement et psychologiquement, j'étais bien sur toi, et à un moment, je t'ai senti me caresser les cheveux. Ca a duré une petite minute, ça m'avait beaucoup apaisée.
A la fin de la soirée, quand je suis montée me coucher, j'étais à moitié lucide, et ce n'était plus tellement à lui que je pensais, c'était à toi. J'avais des frissons en repensant à ta main dans mes cheveux. J'avais à nouveau ces frissons quand j'y ai repensé le lendemain, alors que j'étais cette fois complètement lucide. Tu m'avais caressé les cheveux alors que vous étiez tous lucides, et que tous tes amis étaient là, te voyaient. Ca avait sans doute paru naturel au moment où tu l'as fait, car t'arrivais à faire en sorte que tout ce que tu faisais paraisse naturel, mais je savais que ça ne l'était pas au fond de toi, pour te connaître.
Ca m'avait touchée. Tu me diras plus tard que tu savais parfaitement ce que tu faisais, que la présence de tes amis t'importait peu, et que t'avais juste peur de m'embarrasser moi.
Je me souviens également de la soirée du 16 mai. C'était après les mails du 12 mai, après la réponse négative du 9 mai. J'avais rendez-vous avec mon binôme et il était en retard. En attendant, je n'avais rien à faire et je m'amusais à t'arroser par la fenêtre. Toi tu me lançais des petits cailloux, et t'avais réussi à en faire rentrer un dans mon décolleté. Alors t'as essayé d'en mettre d'autres. Puis mon binôme est arrivé et on s'est enfermé dans ma chambre pendant deux heures.
J'entendais la porte d'entrée s'ouvrir et se fermer, je savais que nos colocs voulaient sortir, je pensais que t'irais avec eux, mais à un moment t'as frappé à ma porte et tu nous as proposé du thé. Tu me diras plus tard que c'était parce que tu voulais me voir. Moi j'étais contente de te voir, j'ai même dit à mon binôme que t'étais adorable.
Quand il est parti, j'ai réalisé que t'étais le seul à être resté, tu m'as dit que t'avais pas eu envie de sortir. T'avais mis ta polaire grise, t'avais froid, t'étais trop beau, j'avais trop envie de te réchauffer. Je t'ai proposé une bière, on a un peu parlé, puis les autres sont rentrés, et ils ont pris une bière avec nous. Ils sont montés petit à petit, et on a recommencé notre jeu. T'as essayé de mettre des capsules de bière dans mon décolleté, et moi je te laissais faire. Elle était là, notre coloc, tu sais laquelle, elle faisait semblant de ne rien voir, mais elle souriait intérieurement, elle me le dira plus tard.
Puis on est monté parce qu'il se faisait tard, je me brossais les dents et t'es venu m'embêter, je ne sais plus ce qu'on essayait de se faire, je crois que j'essayais de t'arroser, en tout ca c'était très physique, et t'as fini par me pousser dans la baignoire. T'étais penché sur moi, je ne pouvais plus bouger, et t'as pris l'arrosoir pour me menacer. On était morts de rire, en silence parce qu'on ne voulait pas réveiller les autres. J'étais trop bien dans cette position, si je n'avais pas été en train de me brosser les dents, je crois que j'aurais sérieusement envisagé de t'embrasser.
Tu me diras plus tard que tu m'aurais bien arrosée à ce moment là. Je te répondrai que je t'aurais alors entrainé avec moi dans la baignoire. Tu me diras que dans ce cas, tu m'aurais embrassée. Je te répondrai que je n'attendais que ça.
Alors quand tu m'as avoué les sentiments, je ne savais plus où j'en étais.
Je savais que je souffrais toujours pour lui, du coup je ne savais pas si j'avais encore des sentiments pour lui.
Je savais aussi que tu m'attirais énormément, que tu m'apportais énormément, et que je t'appréciais comme je n'avais jamais apprécié personne avant toi.
Je savais que j'avais envie de sortir avec toi, mais je n'étais pas sûre de mes sentiments pour toi. Je savais que tu avais des sentiments assez forts pour moi, et je ne voulais pas jouer avec. Je ne voulais pas être malhonnête avec toi, je voulais être sûre de ne pas te faire souffrir avant de commencer quoi que ce soit avec toi.
Je n'ai jamais fini la bière qu'on a prise à ce moment là.
Je t'ai demandé du temps, t'as accepté.
T'as culpabilisé pendant deux jours. C'était moi qui te faisais attendre, et c'était toi qui culpabilisais. Tu t'excusais de m'avoir mise dans l'embarras, de m'avoir mise dans cette situation alors que je n'avais pas besoin de ça. T'étais bête mon amour, c'est grâce à ça que ma vie, non seulement a arrêté d'être grise, mais en plus a commencé à être belle.
Je me souviens que le lendemain, tu travaillais en face de moi dans le salon. Elle, tu sais laquelle, était à côté de moi, t'avais dit une bêtise et elle te provoquait avec ça. J'avais alors pris ta défense, et elle s'était tournée vers moi pour me dire "arrête de prendre sa défense, c'est moi qui t'aime, pas lui!".
On s'est tus tous les deux, et il a fallu que je trouve quelquechose à dire pour rompre le silence.
On rira plus tard de ce moment.
Elle s'est rattrapée le lendemain en m'aidant à mettre de l'ordre dans mes idées.
C'était sûr à ce moment-là.
C'était toi que je voulais.
Je te l'ai fait comprendre pendant toute la soirée. J'étais gentille avec toi, j'étais complice avec toi, je voulais que tu voies que rien n'avait changé entre nous, et que si rien n'avait changé, alors que le matin même j'étais encore complètement chamboulée, c'était bon signe. J'allais vers toi, je te proposais de partager ma bière, je te provoquais aux cartes, je voulais que tu le comprennes, que tu n'avais plus à avoir peur, que ta réponse t'allais l'avoir, que ce n'était plus une question de temps mais de moment.
Tu m'as écrit le soir pour me remercier d'être moi. T'étais plein d'enthousiasme. Tu m'as dit de ne pas te demander pourquoi.
Je t'ai répondu que j'avais envie de te demander pourquoi, mais que j'avais aussi envie d'imaginer pourquoi.
Plus tard, on saura qu'à ce moment là, on s'était bien compris. On s'était toujours bien compris. T'avais bien compris que si j'allais vers toi, c'était parce que c'était positif. Tu n'osais pas y croire, tu te disais que compte tenus de tes sentiments, t'étais sans doute en train de te faire des films. J'avais bien compris que dans ton message, tu me remerciais d'aller vers toi. Je n'osais pas y croire, je me disais que compte tenue de ton absence de réaction, j'étais sans doute en train de me faire des films. T'avais bien compris que si j'avais envie d'imaginer pourquoi, c'était parce que j'avais compris pourquoi tu me remerciais.
Si on s'est tant manqués ce soir là, c'était parce qu'on était tout près du but.